Entretien avec Louis Londe, directeur technique chez GeoStock

Entretien avec Louis Londe, directeur technique chez GeoStock

Hydrogène : « Le besoin en stockage souterrain

est colossal pour répondre aux ambitions mondiales »


Louis Londe travaille depuis 1990 dans le domaine du stockage souterrain. Il est directeur technique chez Geostock. Il a travaillé à l’Andra (Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs) où il a été l’un des directeurs techniques du projet Cigeo. 

Pourquoi le stockage souterrain d’hydrogène suscite-t-il autant d’intérêt aujourd’hui ?

Jusqu’à présent, l’hydrogène était surtout stocké en surface, dans des bombonnes ou des sphères, sous forme pressurisée ou sous forme liquéfiée à très basse température (-253 °C). Cette approche était adaptée quand les quantités d’hydrogène étaient restreintes, même si elle posait un certain nombre de problèmes techniques. L’utilisation d’hydrogène en tant que vecteur d’énergie pour décarboner l’industrie ou la mobilité implique de stocker de bien plus grandes quantités d’hydrogène. Ceci sera rendu possible grâce au stockage souterrain qui permet de disposer de très grands volumes. C’est aussi une approche plus sûre, plus économique et plus respectueuse de l’environnement (emprise au sol plus faible) que le stockage en surface.

Le stockage en cavité saline est-il une technologie mature ?

On sait que le stockage en cavité saline fonctionne pour toutes sortes de produits, y compris pour l’hydrogène. On cherche aujourd’hui à optimiser les modèles que l’on utilisait jusqu’à présent, pour le gaz naturel ou pour l’hydrogène. Il existe aujourd’hui environ 2000 cavités salines de stockage. Six d’entre elles accueillent ou ont accueilli de l’hydrogène.  La différence entre les 6 cavités salines déjà existantes pour du stockage d’hydrogène et celles que l’on cherche à créer aujourd’hui réside dans les usages que l’on va faire de l’hydrogène. Par exemple, pour une utilisation dans la mobilité, il faut que l’hydrogène ait une qualité et une pureté bien supérieures à l’hydrogène utilisé en raffinerie. Il faudra donc traiter l’hydrogène à la sortie. Un autre exemple : le stockage d’hydrogène pour fournir de l’énergie électrique impliquera vraisemblablement des cycles d’injection et de soutirage également plus fréquents. 

Pour creuser une cavité saline, il faut avoir de l’eau à disposition. N’est-ce pas une limite ?

La création de cavités salines nécessite en effet d’avoir à disposition des réserves d’eau douce, ce qui peut poser des problèmes dans les zones en pénurie d’eau. Mais il est aussi possible d’utiliser de l’eau de mer ; c’est un peu moins efficace, mais ça marche très bien. L’autre contrainte associée aux cavités salines, c’est qu’il faut trouver un exutoire pour la saumure saturée générée par la dissolution du sel. Les entreprises de la chimie du chlore ou du sodium peuvent être intéressées par la saumure, mais celles-ci ne sont pas nécessairement présentes à proximité et elles ont souvent des exigences ne permettant pas d’absorber les volumes produits. L’option privilégiée est d’évacuer cette saumure dans la mer, en l’envoyant dans un tuyau à quelques centaines de mètres de la côte. On réalise des études d’impact pour s’assurer que ce déversement soit le moins agressif possible pour le milieu marin.

Est-ce que le stockage en cavité saline sera privilégié à l’avenir ?

Cette technique de stockage est en effet intéressante techniquement et financièrement. L’Allemagne ou la France ont du sel dans leurs sous-sols et sont plutôt bien loties, elles y auront probablement recours. En revanche, certains pays d’Europe du Nord, n’ont pas de sel dans leur sous-sol. D’autres options devront donc être trouvées. Il est fort probable que les régions qui ont des capacités importantes de stockages souterrain pourront un jour offrir des services à celles qui en ont moins grâce à des systèmes de hubs interconnectés. Mais avant qu’on y arrive, chaque pays aura besoin d’avoir ses propres réserves souterraines, et ceux qui n’ont pas de sel dans leurs sous-sols devront recourir à d’autres options que les cavités salines.

Quelles sont les autres options pour stocker l’hydrogène ?

Il est possible de stocker de l’hydrogène mélangé à d’autres gaz (méthane, principalement) dans des milieux poreux naturels, c’est-à-dire des structures capables de piéger les molécules de gaz comme les aquifères. C’est dans ce type de roche poreuse naturelle que l’on stockait le gaz de ville il y a 70 ans (mélange de méthane, de dioxyde de carbone et d’hydrogène). C’est une technique que l’on connaît depuis longtemps. Il s’agirait ensuite d’augmenter progressivement le pourcentage d’hydrogène du mélange au fur et à mesure de l’augmentation de la demande en hydrogène. Dans ce type de réservoir, on peut également stocker de l’hydrogène pur. Il faut s’assurer de la présence d’une « couverture » au-dessus du stockage, c’est-à-dire une roche imperméable, comme de l’argile, qui va empêcher le gaz de fuir dans les roches environnantes. 

Où en sont les recherches sur le stockage en aquifère ?

Geostock coordonne Hystories, un projet impliquant 17 pays européens et visant à étudier le stockage d’hydrogène en aquifère ou en site déplété. Aux États-Unis, plusieurs projets voient également le jour. Mais les Américains ne passent pas forcément par l’étape pilote comme en Europe. Ils vont plus vite et la réglementation leur est très favorable. Ce sont sans doute eux qui auront les premiers projets industriels.

Est-il possible de stocker l’hydrogène dans des cavités creusées dans la roche ?

Il est possible de stocker l’hydrogène au niveau d’une roche « dure », par exemple en granite ou en calcaire, dans laquelle on va creuser des galeries horizontales ou des silos verticaux. On utilise déjà ce type de cavité rocheuse pour stocker le propane et le butane, en assurant l’étanchéité par la contre-pression de la nappe phréatique. Comme l’hydrogène doit être stocké à haute pression, il faut en revanche descendre profondément, à 1000 m ou plus encore, là où la nappe phréatique peut faire contre-pression. Techniquement, on saurait faire, mais le coût de ce type de stockage très profond serait faramineux. 

Quand les pays ne peuvent recourir ni aux cavités salines ni au stockage en roche poreuse, quelles sont les alternatives ?

Pour les pays comme la Suède, qui n’ont pas un sous-sol adéquat, il existe une dernière technique : les cavités minées revêtues ou Lined Rock Cavern (LRC). Il s’agit de recouvrir la paroi de la cavité rocheuse d’une membrane métallique de manière à retenir l’hydrogène. Ce type de stockage relève encore de la R&D. Chez Geostock, nous travaillons actuellement sur ce concept. Une cavité pilote de ce type contenant 100 m3 d’hydrogène vient d’ailleurs d’être réalisée en Suède. Les cavités minées revêtues peuvent servir de site de stockage pour de l’hydrogène pur, sous forme gazeuse à haute pression et sous forme liquéfiée à très basse température. Elles peuvent aussi recevoir de l’ammoniac (NH3), une molécule qui constitue une forme sous laquelle l’hydrogène devient facile à stocker et à transporter.

Quels sont les dangers du stockage d’hydrogène ?

Comme dans tous les projets de stockage de gaz, le principal danger est la fuite qui pourrait entraîner une explosion. On fait des études de risque en travaillant sur des cercles de danger et des scénarios extrêmes pour anticiper les risques et les maîtriser. Avec le stockage souterrain, les accidents sont cependant plus rares qu’avec le stockage de surface, car le produit stocké est loin des hommes et loin de l’oxygène. 

Au niveau mondial, quels seront les besoins en stockage d’ici 2030 ?

On peut en première analyse se baser sur les « plans hydrogène » des différents gouvernements, en Europe et dans le monde, en les mettant bout à bout et en jouant sur les hypothèses. En imaginant par exemple que 5 % de l’hydrogène vert sera stocké en souterrain – ce qui est une évaluation basse –, nous aurons besoin à l’échelle mondiale d’ici 2030 de 200 à 600 cavités créées ou converties. C’est colossal en 8 ans ! À titre de comparaison : il y a 2000 cavités de stockage actuellement dans le monde (pour le stockage de gaz, de pétrole, d’essence…), et il a fallu 80 ans pour arriver à cette valeur. Les capacités de stockage d’hydrogène sont aujourd’hui très en retard par rapport aux annonces officielles. Le marché de la création ou de la conversion de cavités souterraines de stockage pour l’hydrogène est donc gigantesque.

Propos recueillis par Véronique Molénat


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